Favoriser l’émergence des biosimilaires en améliorant l’accès aux infrastructures biologiques : le cas de l’insuline.

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Contribution d’Open Insulin pour le livre blanc “L’ordonnance de la société civile pour une nouvelle politique du médicament. Garantir l’accès, maîtriser les prix.”

L’insuline est une denrée rare et chère pour les diabétiques qui en ont besoin quotidiennement. Aux États-Unis, le prix de la fiole – représentant 2 à 4 semaines de traitement – peut atteindre 530 dollars, ce qui force un quart des diabétiques à rationner leur insuline. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) alerte sur le manque d’accès à ce médicament essentiel, estimant qu’un diabétique insulino-dépendant sur deux ne peut pas s’en procurer. Ils ont besoin d’une dose journalière d’insuline, un apport insuffisant ou interrompu pouvant entraîner des séquelles graves et, éventuellement, la mort.

Depuis quelques années, la pénurie d’insuline a fait son apparition dans les pays occidentaux. En mars 2024, un communiqué de presse d’Eli Lilly confirme la pénurie nationale d’Humalog aux États-Unis et ne prévoit de nouveaux arrivages que mi-avril. Les fabricants ne donnent pas d’explication précise à ces pénuries. On peut noter que les insulines en pénurie sont souvent celles qui ne sont plus brevetées ou les moins chères.

Dans ce contexte, Open Insulin cherche depuis 2015 à comprendre comment un médicament centenaire reste si cher et peu accessible. Notre organisation s’est donnée comme mission de démocratiser l’accès à l’insuline. Pour ce faire, nous développons des outils open-source pour chaque étape du développement d’un biomédicament, de la recherche en laboratoire jusqu’à la production d’un injectable sur un site industriel. L’aspect open-source consiste à s’assurer que l’ensemble des outils est disponible à tous·tes. Cette approche open-source est peu courante dans le domaine des biotechnologies, mais pas inédite. Open Insulin marche dans les pas d’autres organisations qui défendent la mise en commun des outils biotechnologiques comme Addgene, Bioeconomy ou la Biobrick Foundation.

L’approche open-source en biotechnologie consiste à mettre à disposition sous licence libre des outils biologiques nécessaires à la réalisation du projet. Ces ressources biologiques sont de différentes natures : matériel génétique, cellules humaines ou de mammifères, micro-organismes et leurs dérivés. La mise à disposition concerne le matériel lui-même et les informations attenantes, par exemple la séquence ADN. Heureusement, ce type de matériel – à l’exception des cellules de mammifères – est facilement échangeable et peut être reproduit à faibles coûts.

L’équipe d’Open Insulin a choisi l’outil juridique développé par la fondation Biobrick. Ce contrat de licence propose d’échanger du matériel biologique selon ces termes : utilisation pour la recherche et pour la commercialisation, distribution possible à un tiers, et transfert final sans limite de temps. 

Dans la production d’insuline, l’infrastructure biologique clé est l’organisme génétiquement modifié. Open Insulin a choisi l’organisme modèle Komagataella phaffii (appelé aussi Pichia Pastoris) déjà utilisé pour produire des biosimilaires d’insuline (équivalent de générique pour les biomédicaments). Les organismes déjà modifiés génétiquement sont stockés par les entreprises pharmaceutiques et ne sont pas partagés. Les bénévoles d’Open Insulin se lancent donc dans le développement de leur propre organisme génétiquement modifié.

L’organisme de départ, la levure Komagataella phaffii, est disponible et vendu par des entreprises commerciales ou des centres de ressources biologiques (CRB). En se penchant sur les contrats de licence, les bénévoles d’Open Insulin se sont rendus compte que les conditions étaient en totale contradiction avec les missions de l’association. Les contrats de licence interdisent la distribution à un tiers des organismes et de leurs dérivés, limitent l’utilisation dans le temps ou sont révocables – ce qui implique leur destruction. Ces conditions concernent des organismes non modifiés que l’on retrouve dans la nature. La levure K.phaffi a été isolée pour la première fois il y a plus de soixante-dix ans sur un chêne en Californie. C’est un clone de cet organisme qui est aujourd’hui vendu sous licence par les CRB et les entreprises biotechnologiques, avec des contrats impliquant des royalties, ou une part du chiffre d’affaires dans le cadre d’un contrat pour un usage commercial.

L’association Open Insulin a décidé de contourner ce problème en isolant directement une nouvelle souche de K.phaffi. C’est l’un des objectifs du projet Insulibre, co-porté avec Christophe Magnan de l’Université Paris Cité financé par le Centre des Politiques de la Terre. A ce jour, quatorze levures différentes ont été isolées et sont en cours d’identification. Des résultats préliminaires indiquent que l’une d’entre elles est la levure K.phaffi. L’ensemble des souches de levures caractérisées durant ce projet et leur dérivés seront disponibles sous licence libre (selon le modèle openMTA).

La difficulté d’obtenir les organismes naturels utilisés en biotechnologie et l’impossibilité d’accéder aux organismes modifiés produisant des médicaments apparaissent comme les principales barrières au développement de biosimilaires. L’amélioration de l’accès au biomédicament, produit à partir d’une source biologique, nécessite de se pencher sur l’accès aux infrastructures biologiques nécessaires à leur production. Avec un accès à ces infrastructures biologiques, le développement d’un biosimilaire serait plus rapide et moins coûteux.

La mise en commun de ces infrastructures biologiques repose sur deux arguments : leur appartenance au vivant et leur capacité à améliorer la santé de tous·tes. Des arguments similaires ont été mis en avant lors du séquençage du génome humain ou du partage des séquences du virus Covid-19 et des vaccins Covid-19. Un accès restreint à ces ressources implique une capacité de production moindre et des prix plus élevés, engendrant une difficulté d’accès au soin. Dans le cas de l’insuline, les pénuries récurrentes prouvent que les entreprises pharmaceutiques n’ont pas les capacités de production nécessaire. Il est donc normal, si elles ont l’intérêt du patient à cœur, de partager les infrastructures biologiques qu’elles possèdent pour que d’autres acteurs puissent produire l’insuline manquante.

Les licences, comme les brevets, créent des monopoles autour de ressources dont la rareté est créée artificiellement. Les revendications de propriété sur des organismes naturels sont difficiles à défendre, surtout quand elles conduisent à un abus dans les contrats de licence. Open Insulin propose de supprimer la propriété intellectuelle et la propriété simple sur les organismes naturels et modifiés.

Pour démocratiser l’accès aux infrastructures biologiques, Open Insulin propose de :

  • Donner un accès libre à l’ensemble des souches naturelles avec une licence libre type openMTA ;
  • S’assurer que les organismes déposés lors de la demande de brevet soient transférés dans le domaine public et non détruits à l’expiration du brevet ;
  • Associer la demande d’autorisation de mise sur le marché de biomédicament produit à partir d’une source biologique à un dépôt de l’organisme utilisé dans un centre de ressource biologique.